Avec 500 millions de membres, le plus célèbre des réseaux sociaux rassemble quantité de données sur la population mondiale. Un inventaire généralisé jusque là réservé aux Etats.
Durant tout le mois de novembre, la Chine a entrepris de recenser sa gigantesque population, mobilisant pour ce faire près de six millions de fonctionnaires. L’opération est si colossale que le gouvernement chinois n’y procède que tous les dix ans. Jusqu’ici, seuls les Etats avaient les moyens et la légitimité nécessaires pour procéder à de telles campagnes. Aujourd’hui, rien n’est moins vrai. Le formidable essor des réseaux sociaux a complètement changé la donne, mettant entre les mains d’acteurs privés les moyens de procéder à des recueils statistiques dépassant de loin tout ce à quoi pourraient prétendre les Etats les plus totalitaires. Et ce de la manière la plus pacifique qui soit.
Pour récolter des données sur ses cinq cents millions de membres, Facebook n’a pas besoin d’envoyer des cohortes d’agents pour les sonder. Les internautes lui fournissent bien volontiers toute sorte d’informations les concernant, sans même qu’on les sollicite. Et les réseaux sociaux ne se contentent pas de récolter des données de base comme l’âge, le sexe ou le lieu de résidence de leurs membres. Ils sont également en mesure de recueillir en temps réel des centaines d’informations sur leurs goûts, leurs fréquentations, leurs activités, voire leur religion ou leur préférence sexuelle. Aucun gouvernement n'oserait mener une telle enquête, fut-ce de manière anonyme. Une large majorité des jeunes parents utilise même les réseaux sociaux pour annoncer la naissance de leur enfant - quand ils ne lui ouvrent pas carrément un compte. Facebook ou Myspace, pour ne citer que les plus connus, se voient donc de facto confier le recensement des naissances, tâche régalienne s’il en est.
Le phénomène n’a rien d’anecdotique : Facebook rassemble à lui seul près de 14 % de la population mondiale, soit l’équivalent de l’ensemble des citoyens de l’Union Européenne. Bien sûr, il y a des limites à la représentativité du réseau fondé par Mark Zuckerberg. La majorité de ses membres vivent dans les pays occidentaux, le site est interdit d’accès en Chine, et les moins de 35 ans y sont surreprésentés. Mais tout cela est de moins en moins vrai, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique du Sud représentent une part croissante des membres du réseau social, et parents et grands-parents s’inscrivent de plus en plus nombreux. Sociologues et scientifiques ne s’y trompent pas et se tournent de manière croissante vers les réseaux sociaux pour recueillir des données sans recourir à de fastidieux questionnaires.
C'est ce potentiel qui explique qu’un site sans réel modèle d’affaires comme Facebook puisse être évalué à près de 40 milliards de dollars. Un potentiel à la hauteur des risques. Le recensement mondial qui est en train de s’opérer n’est pas forcément néfaste, mais il s’effectue pour l’instant sans garde-fou. Les gouvernements, conscients du risque qu'ils courent de perdre la main sur activité aussi essentielle à leur fonctionnement, tentent d'imposer des règles. La question est de savoir s'ils parviendront à faire face aux géants de l'Internet.
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