dimanche 2 octobre 2011

To have and have not

Personne ne peut savoir ce qu'on ressent, parce que personne ne sait de quoi il retourne pour cette question-là. Moi je le sais. Je ne le sais que trop bien. Et maintenant, si je vis vingt ans, qu'est-ce que je vais faire ? Personne ne viendra me le dire et il ne me reste plus rien d'autre à faire maintenant que de prendre les choses comme elles viennent tous les jours et me mettre à quelque chose tout de suite. Voilà ce qu'il faut que je fasse. Mais Dieu de Dieu, qu'est-ce qu'on peut bien faire la nuit, voilà ce que je me demande.  
Comment passe-t-on ses nuits si on ne peut pas dormir ? Je suppose qu'on finit bel et bien par l'apprendre. Je suppose qu'on finit par l'apprendre tout comme on apprend ce que ça vous fait de perdre son mari. Je suppose qu'on finit par tout apprendre dans cette sacré bon Dieu d'existence. Des chances qu'on apprend tout. Je suppose que je suis en train d'apprendre en ce moment. On devient simplement tout mort à l'intérieur et après tout est facile. On devient mort comme la plupart des gens le sont la plupart du temps. C'est seulement comme ça, pas de doute. C'est sûrement ce qui vous arrive. Eh bien, je démarre bien, je ne peux pas me plaindre. Si c'est ce qu'il faut faire, je prends un bon départ. Je suppose que c'est comme ça qu'il faut faire et pas autrement. Sûrement comme ça. Pas de doute, c'est à ça que ça revient. Très bien. Dans ce cas-là, je suis bien placée au départ. J'ai une drôle d'avance sur tout le monde.
Dehors, il faisait une adorable journée d'hiver, sous-tropicale, douce, fraîche, et les branches des palmiers brassaient la légère brise du nord. Des hivernants passèrent à bicyclette devant la maison. Ils riaient. Dans la grande cour de la maison d'en face, un paon s'égosillait.
Par la fenêtre on voyait la mer qui paraissait dure, neuve et bleue dans la lumière d'hiver.
Ernest Hemingway - To have and have not

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