jeudi 22 octobre 2009

L'un rit, l'autre pas

Joshua Radin était en concert à la Bastille samedi 10 octobre, Joseph Arthur au café de la Danse le vendredi suivant. Joseph et Joshua, une entrée en matière très biblique pour parler de deux frères ennemis de la folk alternative américaine. Les deux chanteurs sont originaires de l’Ohio et pratiquent un même rock dépressif à base de guitare acoustique, d’harmonica et de textes à fleur de peau. Avec tant de points communs, on pouvait s’attendre à deux concerts très similaires. Il n’en fut rien.



Physiquement, les deux hommes ne pourraient être plus dissemblables. Joshua Radin est un dandy dans le style newyorkais, avec gilet noir, feutre gris et dentition impeccable. Joseph Arthur représente la face sombre du folk américain : une allure de pantin cassé, courbé dans un corps trop grand, un nez de rapace, le visage hérissé d’une barbe de trois jours enfoui dans des cheveux gras et longs. On imagine le premier fréquenter les caves branchées de la Nouvelle-Orléans et l’autre les bistrots crasseux des plaines de l’Alaska.



Joshua Radin est venu accompagné d’un groupe : clavier, guitare, basse, harmonica et contrebasse alternent sur scène. Joseph Arthur a laissé les Lonely Astronauts qui l’accompagnent d’habitude pour jouer seul. Il a tout de même emmené dans ses bagages deux consoles d’enregistrement qu’il utilise pour s’entourer d’un environnement musical qu’il crée au fur et à mesure. La caisse de sa guitare lui sert de batterie, il enregistre les sons qui tournent ensuite en boucle. Le résultat est impressionnant et parfaitement maîtrisé. Mais le processus l’isole complètement du public, concentré qu’il est sur la construction de ses morceaux. Très vite on a l’impression d’être face à un gamin autiste, enfermé dans son univers qu’il ne parvient à communiquer que par mégarde. En trois quart d’heure de concerts il n’aura prononcé que trois mots.





De son côté, Joshua Radin était d’humeur légère. Il aime Paris. Il le dit, même, il va s’y installer. Rire cynique du public, un peu trop habitué à être si facilement flatté. Mais non, il insiste, il va y vivre. En tout cas il y songe. « La gastronomie française, les femmes, de quoi est-ce que j’aurai besoin de plus ? », s’enquière-t-il. « D’un visa et d’un permis de travail, je peux t’en toucher deux trois mots si tu veux », lui répond entre ses dents une américaine derrière moi. Non, décidemment, Joshua Radin n’a pas envie de pleurer ce soir. Difficile quand on a un répertoire comme le sien. Il parvient malgré tout, et je dois dire avec un certain brio, à faire passer l’émotion de ses chansons tout en faisant rire le public de bon cœur entre deux morceaux. Il s’amuse à raconter le contexte de ses chansons, rit de ses ruptures et maudit son étoile qui le pousse à ne rencontrer « que des filles dépressives ». « Je suis sûr qu’il y en a plein la salle », s’amuse-t-il encore. Il fait preuve de beaucoup d’autodérision, ce qui aide à faire passer des textes parfois un peu mielleux. Après quelques classiques de son répertoire joués presque en acoustique, il part avec son groupe dans un set plus rock, extrêmement réussi. « Ne vous inquiétez-pas, je reviendrai aux trucs dépressifs juste après », fait-il semblant de s’excuser.



Il y revient.



Looks like the rain's pouring down on me / It's drowning me now / And all I want is to come back home / And this old corduroy coat is not keeping me dry / But I can't think of what else to try / That's why the best thing I can give to you / Is for me to go / Leave you alone / You got growing up to do.



Vient l’heure des rappels. Inévitables et tellement institués que Desproges exigeait de faire le sien « au début », pour ne pas avoir à revenir. Joseph Arthur revient, recommence à jouer avec sa console, produit un son proche du grincement qui hérisse une partie du public. Il s’arrête. Sourit : « l’inspiration n’est pas quelque chose qu’on est toujours censé suivre », s’excuse-t-il de bon cœur. Ca y est, il laisse ses jouets électroniques et se contente de sa guitare. Il repart pour trois quart d’heure proposant un spectacle beaucoup plus réussi que sa performance jusqu’ici. Un ange aux cheveux rouge danse péniblement sur scène, titube et, un peu maladroitement, colle un baiser sur la joue du chanteur avant de redescendre - non sans abandonner ses ailes. Cette fois la salle est emballée. C’est sous les applaudissements nourris de la salle que Joseph Arthur quittera la scène, non sans avoir revêtu les ailes de l’ange déchu. Il a des allures d’archange en exil.







Il n’a pas chanté All of our hands, cette fois, c’aurait pourtant été la chanson idéale.



Until we feed the starving, blood is on all of our hands / Babylon is burning and there is no promised land / Until we clothe the naked all of us are damned / Dreams are just for savages calling themselves men / And in time fire will rain down / On our head the sky will open up and life will be bled.



Joshua Radin aussi termine en beauté. Pour leur dernier morceau, tout le groupe vient se placer au milieu du public. Les voilà qui forment un cercle et jouent et chantent debout au milieu d’une foule plus que conquise.



Vivement Tom McRae.



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dimanche 18 octobre 2009

Oubliés

Un dessin plus vraiment d'actualité puisque le père Noël est finalement passé à Gandrange, en secret et entouré de gardes du corps.

(###) I might be late - Déportivo
[I was laying down, there on a Berlin park, I might be late. Paris is calling me, Paris is calling me...]

Transparence

(###) L'homme pressé s'impose. C'est le cas de le dire.

samedi 17 octobre 2009

Insolence

Je vous donne le contexte de ce dessin. On m'a signalé (gentiment) que ce que je considérais comme de la "franchise nonchalante" s'apparentait parfois un peu trop à de l'insolence. Ça me rappelle ce prof de maths qui avait noté sur un de mes bulletins "Ne confondez pas humour et ironie". Depuis je suis la déférence même et je cantonne l'ironie à mon sourire.

(###) Un classique, sublime et engagé.

J'ai les mains qui tremblent

Une main tendue hésitant sur le seuil.

Elle s’ouvre, s’avance, recule. Se ferme.

Elle ne sait pas, elle ne sait plus. Elle voudrait bien mais elle n’ose plus.

Elle était moins timide tout à l’heure.

Maintenant elle rêve de caresser comme on cogne.



Elle avance elle se perd, elle regrette déjà demain qu’hier elle réclamait.

Aujourd'hui est un autre jour, et puis...

Il n'y a pas d'heure pour se perdre.

Un sourire goguenard lui répond.

Quand on arrête de s’attacher on est beaucoup plus détendu.

Il y a des mains qui se tendent. Il y a des mains qui se perdent.

Toute la tension du monde pendue au bout des doigts.



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dimanche 11 octobre 2009

Ecrasant

La perspective est écrasante, mais a priori ça n'est pas le cas du téméraire photographe grimpé au sommet du Sacré Cœur. En tout cas il a eu la gentillesse d'attendre que je sois parti pour glisser.

J'avais aussi une photo des vignes de Montmartre, mais elle est sans intérêt. Mais oui, il y a des vignes à Montmartre. Environ 1000 m², pas de quoi remplir plus d'une centaine de bouteilles, mais suffisamment pour qu'il y ait une fête des vendanges. C'est la version bobo du salon de l'agriculture. Moins de vaches, plus de champagne (et beaucoup de touristes, ça reste Montmartre).

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samedi 10 octobre 2009

Sur le soleil derrière chez moi

Il pleut des cordes sur le soleil derrière chez moi. Tout le monde est consterné. Personne ne comprend, personne n’apprécie. Les gens rampent pour éviter la pluie. Ou alors ils se recouvrent la tête d’un sac plastique. Quand ils ne peuvent plus respirer, ils tombent. C’est embêtant pour ceux qui rampent, ils doivent faire doublement attention pour éviter les gouttes d'eau et les cadavres.



Dans la famille on ne courbe pas l’échine sous la pluie. On l’accueille froidement, le visage dur. Elle frappe, elle cogne mais elle finit par rompre. Elle glisse selon les angles. Tout au plus fermons nous légèrement les yeux. On manque d’humour dans la famille.



Je descends les marches du métro. Le parquet de l’escalier craque un peu. Il gémit sous le poids de tout ce quotidien qui l’écrase jour après jour. Il se plaindrait bien mais personne ne l’écoute. Je passe le voile de velours pourpre qui marque la limite de la zone payante. Un employé me poinçonne le doigt. J’ai le droit à cinq trajets environ avant qu’on me change de main. Le métro est arrêté. Une voix bovine annonce une interruption de service pour cause d’averse sur les voies. Le chauffeur prend la parole pour démentir : c’est juste une nuée de grenouilles qui a embouti une voiture. Le temps d’évacuer les cadavres et le trafic reprendra. Effectivement, le métro redémarre alors que la voix continue d’inviter les voyageurs à regarder passer les trains.



En face de moi il y a un visage. Il y a un corps aussi juste en dessous, mais c’est le visage qui est important. C’est un visage qu’on n’oublie pas. La jonction parfaite entre l’adulte et l’enfant. Ça me fait penser à ce vieux professeur qui affirmait que le chaînon manquant entre l’homme et le singe, c’est nous. Le visage est tendu. Plus bas, le corps porte un costume gris. Bien proportionné. Un physique de sportif. Ce que ne dément pas le menton carré du visage. Tout indique le jeune adulte. Et puis non, il y a ces pommettes. Ce sont celles d’un enfant de dix ans. Et puis surtout il y a ces yeux. Bleus-gris. Un regard inquiet. Perdu. La panique du gamin qui cherche sa mère dans les allées du supermarché. Le corps est calme, droit. Le visage aussi. Mais les yeux démentent l’un et l’autre. L’enfant qui se cache derrière le physique de quaterback rêve des jupes de sa mère. Les mains se cramponnent à ce jupon imaginaire.



Le train sort de dessous terre. Ça veut dire qu’on entre chez les pauvres. Ceux-là ont le droit au bruit du métro. Les riches ça les embêtait trop. Ça y est c’est la banlieue. Je le repère tout de suite, c’est plein de couples avec des pelles. Ils creusent des trous pour pouvoir s’y enterrer. La femme houspille le mari, l’encourage, le conseille. Plus à droite, plus profond. Mais comment veux-tu qu’on n’ait la place pour mettre le bébé si tu ne creuses pas plus vite ? Lui, répond par des regards d’admiration béate. Et puis il s’exécute. S’enterrer ici et avec elle, c’était son rêve le plus fou, alors il creusera tant qu’elle voudra. Plus loin, les couples de vieux essayent de colmater les brèches provoquées par la pluie. Les cordes pénètrent tout, créent des torrents de boue qu’il faut réguler. La femme houspille son mari, l’encourage, le conseille. Plus à gauche. Moins profond, tu ne vois pas que tu crée un déséquilibre ? Lui, répond par un regard de résignation béate.



On approche des tours. C’est là qu’on fabriquait l’argent avant. Avant que ça ne s’arrête. Il y a du monde qui s’y rend maintenant, on a promis de précipiter les coupables du haut des bâtiments. Comme en 29. Les vieux racontent aux jeunes comment c’était à l’époque. Ils sont contents de pouvoir assister deux fois dans leur vie à des festivités pareilles. Les jeunes aussi sont excités du coup.



En arrivant, c’est la déception : on apprend que le gouverneur a gracié les coupables. Le personnel embauché spécialement pour l’occasion se retrouve dépourvu. C'est dommage, on avait construit tout exprès de beaux tapis roulants sur le toit des tours pour y précipiter les hauts de forme. Ils dépassent de presque un mètre du rebord des toits. Ça devait être le symbole d’une ère nouvelle. Un spectacle qui marquerait les esprits. La déception est palpable. La foule s’emploie à la remuer et à la secouer fortement pour en éclabousser les dirigeants. Et surtout le gouverneur. Eux se cachent derrière leur dignité. Elle n'est plus en très bonne état après avoir couvert tant de scandales, mais pour le moment elle leur épargne le plus gros du mécontentement populaire.



Les ouvriers désœuvrés ont entrepris de précipiter des rouleaux de corde depuis le haut des tours à la place. C’est pour ça qu’il pleut tant. En bas la foule s’est mise à ramper. Certains ont sorti leur sac plastique et commencent à étouffer proprement. Le service de sécurité réuni pour l’occasion entreprend d’évacuer les corps au fur et à mesure, dans une organisation digne des grands évènements.



En grimpant au sommet de la tour je me répète que dans la famille on ne courbe pas l’échine sous la pluie. Je m’agrippe bien à la corde au moment de sauter.



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