jeudi 14 octobre 2010

Splendeurs et misères de la justice ordinaire

Les couloirs du tribunal correctionnel de Paris résonnent encore des plaidoiries passionnées des avocats de Dominique de Villepin ou deJérôme Kerviel. Mais une fois les caméras parties, le travail des magistrats continue. « Est-ce qu'il y a quelqu'un qui ne soit pas de la famille et qui pourrait servir d'interprète ? » Le président de la 30ème chambre interroge vainement la salle du regard. Ici, on fait avec les moyens du bord. Madame Y., 46 ans, est venue sans avocat, simplement accompagnée de sa fille. Cette mère de six enfants, d’origine sénégalaise, est accusée d’avoir agressé les policiers venus perquisitionner la chambre de son fils.

Un voile blanc sur la tête,visiblement impressionnée, elle écoute attentivement le juge, se contentant de hocher la tête ou de murmurer ses réponses. Celui-ci poursuit l’entretien, en parlant lentement pour être sûr de bien se faire comprendre. « Dans le procès-verbal, vous avez reconnu avoir mordu un policier lorsque vous étiez à terre. » Elle jette un regard inquiet à sa fille. Deux autres sont restées au Sénégal, à qui elle envoie régulièrement de l'argent. « Peut-être », finit-elle par concéder dans un souffle, « mais pas trop fort ». 

Au fond de la salle, un gigantesque tableau orne le mur. La Justice y est représentée sous la forme d’un jeune homme avachi sur son trône, contemplant la salle d’un air morne. Un portrait qui ne saurait être plus éloigné de celui du juge P. : la quarantaine grisonnante, il porte sur chaque dossier un regard rapide mais attentif. Paternaliste, il s’adresse aux accusés avec calme et autorité, écoute les explications, s’intéresse à la situation personnelle et financière de chacun avant de laisser la parole au procureur.

Cela suffit à impressionner des « prévenus » qui, contrairement à ce que laisse entendre l’appellation, semblent bien peu préparés à ce qui les attend. Au fond de la salle, une jeune femme en attente de passer devant le juge se met à pleurer doucement. D’une main sur l’épaule et de quelques mots glissés à l’oreille, son avocat vient la réconforter. Madame Y. n’a pas de casier judiciaire et sa comparution ce mardi matin semble avoir constitué une punition suffisante. Elle s’en tire avec une amende avec sursis et un sermon : « la prochaine fois, laissez les policiers faire leur travail ». Mère et fille remercient et repartent, impressionnées mais rassurées.

Elles ne sont pas encore sorties que la greffière annonce l’affaire suivante. Au dehors, un bruit d'esclandre se fait entendre. Les gendarmes de faction sortent prêter secours à leurs collègues. Imperturbable derrière son bureau, le juge P. reste le nez plongé dans ses dossiers. Des affaires comme celle-ci, il en traite plusieurs dizaines par semaine : la justice n’attend pas.

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