Trente ans après la fin de la dictature communiste, toutes les blessures sont loin d’être refermées au Cambodge. « Le Monde » pourrait en faire les frais après avoir qualifié peut-être un peu légèrement d’« ex-cadre Khmer rouge » l’actuel ministre des Affaires étrangères, Hor Namhong.
Les grilles d'entrée du Tribunal de Grande Instance de Paris |
Pour avoir écrit dans un article paru en septembre 2009 qu’un ministre cambodgien avait dans le passé été « cadre » du régime de Pol Pot, le journal du soir se voit poursuivi en diffamation devant la 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris. C’est que les termes ont leur importance dans un pays en plein effort de réconciliation nationale et où des procès sont encore en cours.
En ce sens, l’histoire d’Hor Namhong est assez révélatrice : jeune diplomate royaliste, il est enfermé avec sa famille dans le camp de travail forcé de Boeng Trabek, peu après l’arrivée des communistes au pouvoir. Il y est désigné « président du comité des prisonniers » – sans s’être jamais présenté à ce poste. De fait, il exerça certaines responsabilités à l’intérieur du camp : il répartissait le travail et la nourriture, et surtout, il organisait des séances de « critique et d’auto-critique ». Cet exercice imposé par les Khmers rouges visait à détruire toute notion d’individualisme en favorisant les dénonciations collectives, et aboutissait parfois à des exécutions.
Sans nier la réalité de ces faits, la défense a tâché de rappeler qu’à aucun moment Hor Namhong n’avait adhéré de son plein gré à l’idéologie Khmer rouge et que sa vie et celle de sa famille étaient menacées, ne lui laissant pas d’autre choix que de participer à ces mascarades de tribunaux. Les avocats du ministre ont également produit plusieurs témoignages d’anciens prisonniers rappelant que Hor Namhong n’était qu’un captif comme les autres. « On veut nous faire confondre victime et bourreau », s’est étranglé un avocat. En réponse, Le Monde a mis en avant plusieurs témoignages évoquant le « zèle » avec lequel le président du comité des prisonniers remplissait ses fonctions, ou s’étonnant de sa nomination répétée par un proche de Pol Pot. Finalement, c’est encore la formule tirée d’un livre d’enquête de Francis Deron – qui fut lui aussi correspondant du Monde – qui résume le mieux la situation : « l’histoire du camp de Boeng Trabek reste une zone d’ombre de l’Histoire du Cambodge ».
Le doute qui subsiste ne transparait pas franchement dans les termes utilisés, comme s’est employé à le montrer la défense. « Quand on parle de ‘cadre’, on sous-entend une adhésion à un parti, à une thèse », a martelé l’avocat de la partie civile. Le Monde a plaidé la bonne foi, assurant que le journaliste n’entendait par là qu’un « intermédiaire » ayant eu des « responsabilités » sans nécessairement prendre part aux décisions. « Cela ne fait pas de lui un criminel, ce n’est pas ce qui est dit », a essayé de convaincre l’avocate du journal.
Une justification laborieuse qui n’a visiblement pas convaincu la procureur, puisqu’elle a estimé que ces propos étaient bel et bien diffamatoires. Elle a par ailleurs souligné le manque de sérieux de l’enquête menée par le journaliste, celui-ci n’appuyant ses affirmations que sur la base de témoignages unilatéraux réunis sur le site d’un opposant politique de Hor Namhong… et lui-même condamné pour diffamation par ce même tribunal, quelques mois avant la parution de l’article incriminé.
Verdict le 14 décembre prochain.
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