En interdisant la construction de minarets sur le territoire de la confédération, les Suisses confondent neutralité et isolement. Ce vote les dépasse, c’est un cri irraisonné où s’étranglent la peur, l’incompréhension, l’ignorance et l’intolérance. Les Suisses ont fait ce qu’on attendait d’eux : ils ont répondu à côté de la plaque à une question qui leur était posée dans ce seul but.
La société est ébranlée, elle cherche à s’unir. Et rien de plus facile que de s’unir « contre ». Nil novi sub sole. D’ailleurs nous aurions tort de jouer les donneurs de leçon. Car que dire de ce débat sur « l’identité nationale » que l’on tente de nous imposer ? Depuis quand débat-on d’une identité ?
Je viens de terminer Suite française, d’Irène Némirovsky. Ecrivain russe, chassée de Russie par la révolution bolchévique elle s’exile à Paris avec sa famille. Plus tard elle devient un écrivain reconnue. Elle se marie avec un banquier, émigré russe comme elle, et dont elle aura deux filles. Elle mène une vie de grande bourgeoise parfaitement intégrée. Ni cela, ni son succès et sa notoriété ne lui vaudront d’obtenir la nationalité française, qu’elle demanda pourtant à plusieurs reprises. Née juive bien que convertie au catholicisme, elle est déportée dans un camp de concentration en 1942. Elle y mourra.
Depuis quand débat-on d’une identité ? Son mari, Michel Epstein, sera lui aussi déporté quelques semaines après elle. Dans l’intervalle, et avec l’aide de Robert Esménard (directeur des éditions Albin Michel) et d’autres, il remue ciel et terre pour attirer l’attention sur la situation de son épouse, pour tenter de fléchir les autorités françaises et allemandes. Même si cela doit consister à justifier le régime nazi, à lui donner raison. Il faut relire la correspondance qu’il a entretenue avec Robert Esménard pour comprendre l’espoir fou – le désespoir total – qui anime cet homme. Frénétiquement, il cherche dans l’œuvre de son épouse des passages qui illustreraient son aversion supposée pour les israélites et les bolchéviques. Il s’enthousiasme de certains passages où Irène Némirovsky dépeint en termes peu amènes les petits juifs d’Europe de l’Est qui tentent de se faire une place au soleil. Et c’est vrai qu’elle est parfois dure avec ses semblables dans ses romans. Ses descriptions frisent parfois l’antisémitisme, mais on y sent aussi la tendresse d’une mère. Peu importe, si cela peut la faire sortir. Les efforts de Michel Epstein seront vains. Mais voir cet homme s’affairer ainsi à faire justifier par celle qu’il aime un régime qui est en train de la détruire, un régime qui le détruira, un régime qui cherchera à détruire ses enfants, c’est d’une force, d’une puissance qui donne la chair de poule.
Jamais nous ne devrions forcer les gens à se définir « contre ». Ce débat sur « l’identité nationale » ne nous fait pas honneur. Qui va devoir ainsi se justifier d’être français ? A quelles fins ? Auprès de qui ? Bien sûr que c’est un débat lancé à des fins purement électoralistes, personne n’est dupe. Pas même les français si j’en crois les sondages. Bien sûr que Nicolas Sarkozy n’est pas Hitler, ni même raciste pour ce que j’en sais. On joue de la peur pour resserrer les rangs. Mais il y a des notions, il y a des peurs avec lesquelles il est de la responsabilité des hommes politiques de ne pas jouer. Tout ça pue.
Ces analogies peuvent sembler extrêmes, je les crois justes, pourtant. Nous ne sommes qu'à l'an zéro de la première crise de ce siècle naissant. Il a fallu dix ans à celle de 1929 pour faire fructifier le fascisme et la haine sur le terreau fertile de la misère sociale et des peurs de l'époque. Bien sûr, la situation aujourd’hui est très différente, mais Dieu seul sait où nous serons dans dix ans. Beaucoup de scénarios sont possibles, et certains n'ont rien de réjouissants. Nicolas Sarkozy a montré qu’il avait compris que le multilatéralisme était la seule voie possible pour régler les conflits et faire face aux grands défis du siècle, je mets cela à son crédit. Il serait bon qu’il ne l’oublie pas quand il revient aux affaires internes.
« Un peuple qui oublie son passé est condamné à le revivre », disait Winston Churchill.
Gare à l’amnésie.
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ARTICLE REMARQUABLE
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