Le petit pub irlandais de la rue des Haudriettes réussit l’exploit de réunir touristes en goguettes et habitués rigolards dans une ambiance décontractée
C’est un petit bout d’Irlande qui se terre au cœur du quartier du Marais, à deux pas du centre Pompidou et des Archives Nationales. C’est là, au Quiet Man, que les touristes égarés et les Parisiens avertis se retrouvent autour d’une pinte de bière. La devanture verte ornée d’une choppe brune et le nom écrit en lettres gaëliques donnent le ton. Il ne faut pas se laisser tromper par les bouteilles de vin qui ornent joliment les étagères au-dessus du bar : dans cet îlot irlandais, on sert avant tout de la Guinness et de la Kilkenny. « Et si on veut du vin ? », taquine une cliente ? « Avant il y avait une échelle, mais elle prenait trop de place. De toute façon, on ne m’en demande jamais », sourit Franck, le propriétaire. La chaleur et la convivialité qui règnent ici doivent autant à ce trentenaire festif qu’à la disposition même du pub : la salle principale est minuscule, et il est difficile dans ces conditions de faire autrement que de plaisanter avec ses voisins.
Le Quiet Man doit son nom à un film de John Ford datant de 1952. John Wayne y interprète un boxeur irlandais à la retraite qui décide de mettre fin à son exil américain et de chercher le repos dans le village de son enfance. En fait de repos, il se retrouve surtout embarqué dans les histoires tumultueuses des fiers et bruyants villageois. Une atmosphère gaie et un brin désordonnée dont a hérité le petit pub de la rue des Haudriettes. On vient pour déguster une Guinness et on se retrouve à plaisanter avec un vieux juif américain de passage. Ici, on parle le français et l’anglais avec tous les accents possibles et imaginables.
« Toute sortie est définitive »
Franck tutoie presque tout le monde, salue les habitués par leur prénom et, pendant les heures creuses, joue aux fléchettes avec ses clients. Il se raconte aussi parfois. Le Quiet Man, c’est sa fierté, la preuve que la trentaine bien entamée, il a déjà un peu réussi sa vie. Amoureux de l’Irlande, il tente de la faire revivre dans son bar en organisant des concerts et des ateliers de musique ou de chant.
Cela se passe plutôt en bas, dans la cave qui vient tripler l’espace. On y trouve une vingtaine de chaises mal assorties, quelques bancs et une poignée de tables prêtes à recevoir les visiteurs. Au mur, au-dessus d’une affiche jaunie pour un festival de musique irlandaise de l’été 1986, une vieille horloge de bois indique éternellement 8 heures 18. Mais au Quiet Man, le temps n’est figé que dans le décor. Groupes professionnels et amateurs réunis pour la circonstance se chargent de faire vivre ce bar dans des bœufs survoltés de guitares et de violons.
À presque 3 heures du matin, les derniers clients terminent leur verre. Le rideau est tiré, la porte est fermée, mais pas question de les mettre dehors. Franck discute avec les retardataires, et prévient seulement que « toute sortie est définitive ». Jusqu’au lendemain, en tout cas.